Quand je ne supporte plus mon thérapeute


Il est temps alors de me poser les bonnes questions et de ne pas systématiquement fuir. 

Qu’est ce qui fait partie de ma perception ?

De mon regard subjectif ?

De ma projection ?

En quoi mon thérapeute est une réalité ou ma réalité en face de moi, ou une idéalisation ?

Ne prend-il pas tout d’un coup le regard de ma belle-mère, de mon père ? De mon ex petit ami ? De ma collègue ?

Ne m’énerve-t-il pas avec ses airs suffisants lui qui sait tout, ses tics, ses tocs, ses réflexions, son regard hautain…

Si je ressens du mépris de sa part ou une impression d’être infantilisé, manipulé, n’ai-je pas une part de responsabilité de me regarder laisser subir ainsi ? Pourquoi ne puis-je pas confronter mon thérapeute qui est là pour moi, dans la bienveillance et avec qui il n’y a pas de risque extérieur au cabinet lors de ma consultation ?

N’est-ce pas l’occasion de confronter mes idées, de m’ajuster, de dire ce que je ressens, d’oser exprimer, de tenter de trouver les mots, de trouver le bon ton. Etre en thérapie c’est aussi prendre des risques de s’exposer, de voir la réalité en face, de se sentir grand comme petit, tout nu ou dans de nouveaux vêtements, de faire du neuf et non pas du vieux, de se défier soi-même, de se regarder faire. C’est un nouveau chemin et pour cela il faut oser aller jusqu’au bout du processus, du cadre donné à la première séance. Il est dit de prendre une séance ou deux de régulation avant de terminer ce bout de chemin ensemble.

Il est sans aucun doute plus facile sur le moment de fuir ou de me fuir, de tourner mes talons, de positionner un rendez-vous tout en sachant que je n’irai pas ou plus jamais ou que je le reporterai mainte fois, mais cela me donne une contenance à la fin de l’heure. Je fixe dans le temps mais je sais que je n’irai pas, ainsi je peux partir tranquille en donnant la dernière poignée de main.

Mettre à la poubelle mon thérapeute c’est parfois m’empêcher de toucher ce qui fait mal en moi, ce qui est le plus profond et que je ne veux pas qui émerge, car finalement garder cette source d’arguments ou d’excuses pour justifier mon mal être m’arrange bien et est préférable que de le désosser et le regarder en face. Confronter mon thérapeute plus longtemps est donc insoutenable, il est forcément nul, lui…et ainsi j’ôte ma responsabilité, son insuffisance fait que je ne peux pas progresser et que j’ai sans aucun doute fait le tour de la question, donc mieux vaut arrêter, je perds mon temps…

Partir et tout quitter, ne pas affronter en face, ne pas se dire, se fuir soi-même pour ne pas passer des caps. Hors c’est à cet endroit-là qu’il est possible de monter une marche. Quand on parle de la crise de l’adolescence cuisante d’un jeune, c’est parce qu’il a osé affronter et confronter ses parents, les rejeter en face mais pas fuir. Les parents le trouvent alors insupportable. S’il part à l’autre bout de l’appartement ou du monde sans rien dire, cela ferait avancer qui? Mais s’il accepte de s’opposer, de dire non en expliquant son point de vue, alors là, il avance, il ne se met pas une carapace ou une couche de plus qui ne lui appartient pas, il enlève toutes les couches qu’on lui a mises depuis la naissance et il les regarde, fait la part des choses et ne remet que celles qui correspondent à son moi intime. Parfois ce sera plus tard, la fameuse crise de la quarantaine.

Partir ou m’isoler c’est aussi le choix de ne pas sentir ni ressentir, souffrir. Partir d’une situation qui est jugée embarrassante ne me permet pas de m’expérimenter à m’ajuster, à clarifier avec mon interlocuteur. Si je ne sais pas le faire avec mon thérapeute alors comment vais-je le faire dans la vie extérieure ?

Le thérapeute n’y est souvent pour rien, il est objet et un instrument pour me confronter et grandir. Il fait émerger ce qui me fait souffrir, j’ai le choix ensuite de regarder ou de fuir. Souvent le conjoint peut remettre sur le dos du thérapeute une idée de mal être, de changement, de séparation ou de divorce – c’est lui qui t’a poussé- en réalité, c’est la clarification et l’émergence de l’être en profondeur qui fait que la séparation devient inéluctable et pour peu que le conjoint ne chemine pas de son côté avec un accompagnateur, il se sent dépossédé, la faute ne peut être qu’une résultante de la thérapie.

Donc partir sans se dire entre le patient et le thérapeute, c’est ce que je peux faire la plupart du temps dans la vie de tous les jours. Et ainsi ce sera  la faute de…

Cela est plus facile…je peux agir ainsi parce que je me sens indifférent en apparence et que je n’ai pas envie de perdre de temps, ou parce que j’ai peur de dire, je ne sais pas comment dire ou bien je vais le dire en blessant mon thérapeute qui ne pourra accepter d’être rabaissé par moi, son élève…mais plutôt que de compter combien de fois je me sens blessé, mal écouté, incompris, ne va-t-il pas mieux que j’explore où sont mes blessures ?

Rester confronter avec mon thérapeute et lui dire pourquoi je veux le quitter, c’est aussi accepter de partir dans une autre émotion, dans mon corps ou mon cœur, lâcher la tête, la rationalisation, sans  savoir où je vais, oublier une partie de mon EGO, c’est juste lui faire confiance.

Et quand  des perceptions négatives surgissent ou des projections ou des envies de tuer mon thérapeute, la gestalt peut m’ouvrir alors à le dire dans l’ instant présent plutôt que de ruminer, ressasser puis partir sans expliquer. Quelle voie de progression puis-je trouver dans ce processus de fuite?

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Alors -MOI THERAPEUTE, je voudrais te dire :

Je suis impatiente de t’écouter me dire ce que tu ressens face à moi, ton agressivité comme ta douceur en essayant de nous ajuster dans une ouverture de cœur à l’autre, ne me quitte pas sans me regarder en face car après je suis inquiète, je ne peux comprendre ni progresser moi non plus et nous laissons de part et d’autre une gestalt non achevée entre nous.

Je  ne vais pas chercher à savoir dans le passé ce qui t’amène à faire des ressemblances, des similitudes, des projections par rapport à des personnes, ce qui m’importe c’est ce que tu vis aujourd’hui en ma présence. Qu’as-tu à me dire à moi personnellement qui pourrait être nouveau et non quelque chose d’identique au passé. C’est cette nouveauté qui permettra de clore quelque chose qui est resté ouvert dans le passé.

En tant que praticienne gestaltiste, tu es venu chercher avec moi une thérapeute impliquée qui vit et ressent en même temps que toi. Même si en cadrant dès le départ à la première séance, je sais combien ce lien est fragile et comment tu peux partir à tout instant, je n’aime pas ce sparadrap qui tu décolles sèchement et brutalement dans ce lien unique qui s’est co-créé entre nous.  Je t’invite donc à oser te dire puis à oser me dire pourquoi tu veux interrompre ou terminer ce processus thérapeutique que tu as engagé avec moi, car oser seul dans son coin est une autre chose que d’être à deux en face à face même dans nos différences. Nous y trouverons chacun un chemin d’évolution. Et tu pourras alors décider en accord pleinement avec toi-même.

25 mai 2016

Article de Sophie Touttée Henrotte